La presse a diffusé des nouvelles négatives à propos de l’aspartame, un des édulcorants les plus utilisés et l’une des substances les plus étudiées au monde. Est-ce vraiment si grave ? Nous avons posé la question au professeur Jan Tytgat, célèbre toxicologue à la KU Leuven. Il nuance : cela ne signifie pas qu’il faille arrêter de consommer des produits contenant de l’aspartame. Ce n’est pas parce que l’International Agency for Research on Cancer (IARC) considère une substance comme possiblement cancérogène qu’il a un risque réel pour la santé. Précisons que peu après les fuites sur le rapport de l’IARC, la sécurité de l’aspartame a été réaffirmée par le Comité mixte d’experts de l’OMS et de la FAO sur les additifs alimentaires (JECFA) le 14 juillet 2023.
Cancérigène avéré ou possible, c’est très différent
L’IARC est un organisme qui émane de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Il évalue le caractère cancérigène de nombreuses substances. Cette agence distingue 4 niveaux selon le niveau de preuves, basées sur des données chez l’animal et l’humain.
Groupe | Exemples |
Groupe 1 : Cancérogène pour l’homme | Alcool, charcuteries |
Groupe 2A : Probablement cancérogène pour l’homme | Viande rouge, boissons très chaudes |
Groupe 2B : Possiblement cancérogène pour l’homme (ou cancérogène possible) | Légumes au vinaigre (pickled vegetables), aloe vera, aspartame |
Groupe 3 : Ne peut pas être classé quant à sa cancérogénicité pour l’homme | Sélénium |
L’IARC a ajouté l’aspartame au groupe 2B. Mais il faut bien faire la distinction entre un danger (le caractère cancérigène d’une substance) et le risque (de développer un cancer). Le Professeur Tytgat illustre cette différence en prenant comme exemple un serpent dangereux dans un zoo. Le danger d’une morsure peut s’avérer mortel, mais ce serpent est parfaitement sécurisé de manière à ne pouvoir mordre personne. « Le risque est donc pratiquement nul. On peut appliquer le même principe aux substances alimentaires ».
Question à Christophe Matthys, Professeur de Nutrition Humaine, KU Leuven
A propos des informations sur l’aspartame, possiblement cancérigène, parues dans la presse : faut-il s’inquiéter ?
« La réponse est clairement non, pour autant que votre consommation d’aspartame ne soit pas excessive. Dans les récentes informations de l’OMS sur ce sujet, il faut bien faire la différence entre :
– L‘aspartame considéré comme « possiblement cancérogène » par une agence de recherche sur le cancer (IARC), avec un niveau de preuve limité chez l’Homme.
– L’évaluation du risque réel que cela représente, aux quantités consommées.
Dans sa dernière évaluation du risque, l’OMS (via le JECFA) conclut qu’il n’y a pas de risque aux quantités autorisées, à savoir 40 mg/kg de poids corporel (la Dose Journalière Admissible ou DJA). Cela correspond à plusieurs litres de boisson light. Nos propres données à l’hôpital montrent que même des enfants diabétiques – qui sont parmi les grands consommateurs de boissons sans sucres, édulcorées à l’aspartame – restent sous la DJA, même si leur poids est inférieur à celui des adultes, il n’y a donc vraiment pas de quoi s’inquiéter. »
Alcool et viande rouge
Ainsi, poursuit le scientifique, « le fait qu’une substance soit considérée comme cancérigène signifie qu’en principe, elle pourrait bel et bien présenter un danger, mais en réalité, le risque que ce danger ait un impact réel dépend d’autres facteurs. Prenons le cas de l’alcool, cancérigène pour l’homme (groupe 1, cancérogène) : le risque de développer un cancer va dépendre de l’exposition au danger, et donc notamment de la quantité et de la fréquence de consommation d’alcool ».
Idem pour la viande rouge (groupe 2A, probablement cancérogène), ou encore les légumes au vinaigre (groupe 2B, possiblement cancérogène) : « tout est question de quantité et de fréquence de consommation ». Pour toutes ces substances et tous ces aliments, la classification en groupe 1, groupe 2A ou groupe 2B dépend toujours de l’ensemble de l’évidence dont on dispose. « Mais même si cette évidence est concluante et qu’un aliment se trouve en groupe 1, comme la charcuterie et l’alcool, cela ne signifie pas pour autant que déguster un verre de vin rouge avec un jambon fumé va nécessairement nous donner un cancer ».
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Quelle est la différence entre le travail de l’IARC et l’Autorité Européenne de sécurité des aliments (EFSA) ?
L’IARC est un organisme de recherche qui évalue et classe les substances en fonction de leur cancérogénicité, c’est-à-dire leur potentiel théorique de contribuer au développement d’un cancer. Ce n’est pas une agence qui a en charge la sécurité alimentaire. Au niveau de l’OMS, c’est le Comité d’experts FAO/OMS sur les additifs alimentaires (JECFA) qui examine la sécurité des additifs. Chez nous, l’EFSA est l’autorité de l’Union Européenne qui évalue le risque lié à l’exposition à une substance, de manière à garantir la sécurité alimentaire.
L’EFSA évalue notamment les édulcorants basses calories pour l’Europe. « Pour garantir la sécurité alimentaire, elle suit un protocole bien précis, pour arriver à établir la Dose Journalière Admissible (DJA), c’est-à-dire la quantité maximale qui peut être ingérée quotidiennement en toute sécurité. Pour chaque édulcorant, l’EFSA détermine les types de produits qui peuvent le contenir ainsi que la quantité maximale d’édulcorant dans chaque produit. L’EFSA effectue en outre un monitoring pour s’assurer que la consommation d’édulcorants basses calories reste dans les limites de sécurité pour la population ».
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L’aspartame est souvent décrié. Est-ce que cet édulcorant est toujours sûr ?
« L’aspartame fait l’objet de controverses depuis des années. Certaines données animales l’ont présenté comme cancérigène, mais après avoir été examinées par l’EFSA, ces données ont été jugées non fiables et l’EFSA a maintenu ses recommandations. L’aspartame est donc toujours considéré comme sûr, pour autant que l’on respecte la DJA. La DJA de l’aspartame a été fixée à 40 mg/kg de poids corporel, et la consommation moyenne en Europe n’est que de 2 à 4 mg/kg de poids corporel, ce qui est parfaitement rassurant ».
La déclaration de l’aspartame comme possiblement cancérigène n’est-elle pas finalement source de confusion pour les consommateurs ?
« Oui, dans une certaine mesure, d’où l’importance de bien comprendre que l’IARC n’est pas une autorité de sécurité alimentaire, et que ce sont d’autres structures qui sont chargées de veiller à ce que ce qui est autorisé à la mise sur le marché soit parfaitement sûr, dans les conditions d’utilisation précisées ».
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Sources : Reuters, 29 juin 2023